Il y a quinze ans, U2 au Man Ray

, par bert 24 commentaires

C’était il y a quinze ans et avec le temps les souvenirs commencent à s’estomper. Il me reste quelques images, quelques flash, et le souvenir d’une atmosphère particulière, d’un événement que je n’avais ni espéré ni imaginé et qui malgré tout a bel et bien existé…

J’étais encore étudiant, à l’époque, dans ma verte province. Un an auparavant, alors que le web n’était que l’embryon de ce qu’il est aujourd’hui, je m’étais associé à deux autres fans connus sur un chat IRC. Nous avions lancé un site Internet appelé U2Achtung.com, rapidement devenu le plus gros site de fans de U2 en France.

C’est à ce titre qu’un matin autour de la mi-octobre, la maison de disque nous contacte. Un événement lié au groupe, organisé en partenariat avec NRJ, se prépare la semaine suivante dans un club de la capitale. Universal souhaite y convier des fans et nous allouer quelques invitations à faire gagner. Difficile alors d’en savoir plus. Quel genre d’événement ? Le groupe serait-il sur place ? Va-t-il se produire sur scène ? Notre contact n’en sait rien, et avec le recul peut-être même qu’il n’y avait rien de sûr et que tout aurait pu capoter au dernier moment, il valait mieux la jouer prudente. Nos questions restent sans réponse et en guise de précisions nous n’avons qu’un bon conseil de sa part : «venez !».

Officiellement il s’agit d’écouter en avant-première le nouvel album du groupe, All That You Can’t Leave Behind, dix jours avant sa sortie. Dans les faits la plupart d’entre nous l’a déjà téléchargé sur Napster. Nous supposons, vu le lieu choisi, qu’il y aura au minimum une soirée pour fêter son lancement et que le groupe pourrait bien y être. Faut-il pour autant sécher deux jours de cours et se prendre un billet de train à l’arrache… ?

Rue Marbeuf, le 19 octobre 2000, autour de 19h30, c’est la ferveur sur le trottoir. La presse est là, les caméras de TV et les éclairages ne sont pas des plus discrets. Je me présente, mon nom est sur la liste, comme prévu. Un passage au vestiaire et je descends les longues marches qui conduisent à la salle principale du Man Ray. Une musique de fond résonne, les gens discutent en petit groupe et profitent des petits fours et des boissons. L’endroit est spacieux, les lumières sont tamisées, l’atmosphère chaleureuse. J’aperçois quelques têtes connues des médias et du showbiz, pas mal de gens bien apprêtés ou en tenue de soirée. Les fans sont minoritaires et se distinguent assez facilement dans la masse d’invités qui n’est manifestement pas là que pour écouter un album. Au fond de la salle, on distingue ce qui s’apparente à une minuscule scène. Une bâche recouvre ce qui pourrait bien être une batterie. Difficile d’imaginer U2, qui sort de ses deux tournées gigantesques Popmart et Zooropa, jouer ici. Ça n’a aucun sens. Le doute subsiste, peut-être une interview.

En tous cas je commence à me dire que je ne suis pas venu ici pour rien. Je m’avance dans ce qui ressemble peu à peu à une toute petite fosse. Il y a peut-être 300 personnes, un peu plus avec celles qui sont installées au balcon. J’identifie à quelques mètres un certain «Latex», reconnu grâce au trombinoscope de notre forum. Je ne le connais pas encore, ne l’appelle pas encore Cyril et n’ai pas encore parcouru la planète avec lui pour voir U2, mais ça ne saurait tarder. Et voilà le son qui monte d’un coup et Beautiful Day qui retentit dans les enceintes. C’est parti pour cette fameuse écoute de l’album. Les titres s’égrènent, ce n’est évidemment pas Pop mais « All That » ne m’a jamais déplu et surtout pas ce soir-là. L’excitation monte crescendo, les gens se sont cette fois agglutinés face à la scène et chantent déjà certains titres, ce qui semble étonner ce cher Paul McGuiness, présent dans la foule et qui ne connait pas encore le World Wide Web.

« Grace finds beauty in everything », les lumières s’éteignent et les voilà qui déboulent sur scène, tous les quatre sans rien dire. Le moment est magique, inoubliable.

The Edge attrape sa guitare et attaque les premières notes d’Elevation. Cette fois ce n’est plus l’album, c’est du live. Quatre mecs en tenue de ville, Bono sans lunettes, chemise et veste en cuir, la montre au poignet et les bagues aux doigts, comme s’il sortait de chez lui. Le son n’est pas terrible, parfois couvert par du larsen, chaque coup de batterie claque comme si la scène s’écroulait, le chanteur n’a plus de voix et on l’entend à peine, il s’entortille dans le fil de son micro et a l’air totalement hors de forme. Mais peu importe, c’est trop bon. Quatre morceaux du nouvel album ouvrent le bal et sont joués pour la première fois en concert. Le final d’Elevation – épelé et dévoilant la dyslexie manifeste de Bono – est puissant, euphorisant, et met littéralement le feu. Les dés sont jetés, il est évident dès sa première en live que ce titre va cartonner sur la tournée et même s’imposer comme ouverture. New York, quant à elle, est jouée comme sur l’album, j’ai le souvenir du dernier refrain et de ses cymbales qui explosent, ou de Bono qui reprend « in neeeeeww yoooooork » à bout de souffle. Si le titre sera plus tard légèrement réadapté en concert, la version du Man Ray restera une de mes favorites grâce à son final fabuleux.

« Bonsoir, je suis une rock-star, j’habité à… », quinze ans plus tard on ne sait toujours pas ce que Bono baragouine avant de lancer le premier Stuck In A Moment de l’histoire. Le titre était à l’époque présenté comme le nouveau One par le groupe ou son entourage. L’avenir les contredira évidemment, mais ce soir-là il fait l’illusion de la découverte. Je me souviens de la clameur de la foule quand Edge entame son couplet. Derrière Beautiful Day est balbutiant, interrompu et recommencé par Bono qui a des problèmes de retour. Le groupe manque un peu de repère pour son premier concert depuis plus de 3 ans, encore plus vu le contexte et l’étroitesse du lieu. Il en sera de même un peu plus tard pour The Ground Beneath Her Feet.

Je me souviens m’être rapidement demandé combien de temps durerait cette petite sauterie. Après quatre titres du nouvel album, U2 a fait le job de la promo et peut bien s’arrêter là sans que quiconque ne s’en offusque. Les premières notes de Mysterious Ways sont d’autant plus bonnes qu’inattendues. Le groupe innnove avec une nouvelle intro qui durera sur la future tournée. Bono ne chante plus vraiment, il parle et laisse quasiment le refrain à Edge et à la foule. Voilà trois fois que quelqu’un derrière moi me bouscule, je me retourne, une belle plante noire, charmante… Ça ira pour cette fois! Le pote à ma droite me tape sur le coude : « putain c’est Naomie Campbell ». Enchanté.

Bono sort sa guitare et se contente de chuchoter. Il n’en peut plus. Musicalement le reste du groupe assure, et le final d’All I Want Is You emporte la foule. « Merci au revoir », on croit que c’est fini. Pas tout à fait finalement, on aura droit à un rappel. Even Better Than The Real Thing fait l’une de ses dernières apparitions avant de disparaître de la circulation pendant dix ans. Le reste du concert appartient à l’histoire. Il n’y a qu’une poignée de fans dans l’assistance, mais il ne fait aucun doute que Bad est pour eux. Le titre n’avait plus été joué en Europe depuis 1993. La version est chancelante, le chanteur met ses dernières forces et électrise complètement la salle de son charisme. Elle dure près de neuf minutes. Neuf minutes de bonheur et de communion totale avec le public. Un extrait de « Ne me quitte pas » de Jacques Brel introduit magistralement le final. Bono rappe presque, déchainé et trempé de sueur. Il salue la foule et quitte la scène alors que ses trois collègues achèvent le morceaux. Cinquante minutes se sont déjà écoulées, cinquante minutes hors du temps.

Il y a bien une soirée après le concert, mais elle n’a guère d’intérêt malgré la présence du groupe. Tout le monde est sur son nuage et je ne me souviens quasiment plus de rien. Il me semble m’être bien marré avec mon pote Serge qui avait repéré Mick Hucknall dans les invités et tenait à tout prix à aller lui déclarer sa flamme. Sacré Serge, dommage que tu ne sois pas plus actif par ici.

Quinze ans ont passé et ce moment reste à part. Il le restera pour toujours. J’ignore si j’aurais l’occasion de revoir U2 dans ces conditions. Il a fallu attendre cette année pour que le groupe se reproduise à nouveau sur ce type de scène au Roxy de Los Angeles. Tout n’est donc pas perdu, mais cela n’a plus grande importance. Je me suis souvent demandé pourquoi j’avais passé autant de temps à être fan d’un groupe, à m’investir pour développer et faire vivre des sites web à son effigie. Encore aujourd’hui, avoir pu assister à cette soirée du 19 octobre 2000 reste le plus beau des remerciements.

Discussions

24 commentaires ont été publiés pour cet article.

Serge

On parle de moi ? C’était sympa cette soirée….Un grand moment !

Je dois avouer que j’étais un peu cuit cette soirée-là. UB40 – je l’avais oublié du coup – autant Obispo, je me souviens lui avoir aussi déclarer ma flamme (ironique)…..

Très joli article … les raisons de mon absence sont simples et en même temps complexes – disons que j’y accorde moins de temps à ce foutu groupe :-), mais la flamette est encore là !

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fab

merci pour la vidéo !
J’ai le boot du concert qui traîne chez moi. mais je ne savais qu’une vidéo existait. D’ailleurs, qui a filmé ?

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dummy

Ce que Bono dit avant « Stuck in a Moment » est : « Bonsoir, je suis une rockstar, j’habite le south of France ». Référence à la chanson de Bill Wyman des Rolling Stones « (si si) je suis un rockstar ». https://www.youtube.com/watch?v=KLo4Dgq1k0o&t=1m34s. Hop !

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Totobono

Salut u2 sucking, j’ai 2 places cat 3 pour Londres lundi soir 26 Octobre.

Je ne peux pas y aller malheureusement, si cela intéresse quelqu’un vous me dites!

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Pedro

Napster, U2Abel, Serge…

La vaaache ! Comme le temps file ! Merci Bert ! Ca m’a collé la larmichette ! C’etait grace a toi et U2 Achtung de l’époque que j’ai pu acceder 10mn avant les gens mainstream a l’accès sur Ticketnet.fr pour ce qui allait etre mon premier concert au POPB le 17 juillet 2001…. on a meme bu un verre apres le show avec Serge et mon ex !

D’ailleurs, en parlant de nostalgie, ton premier site sur « ce qu’on pouvait reprocher a U2 » ou un truc du genre… tu pourrais me rappeler son nom ? Voire meme m’indiquer si on peut le retrouver sur la toile ?

La vaaache ! J’avais 16 ans a l’epoque et une connection 56k… et me voila a t’ecrire le froc en bas, bien posé aux WC, depuis mon smartphone !

Finalement… Doc Emmet Brown a raison ! En 2015, on est dans le futur !

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bert

Ah t’es le Pedro de Neuchâtel ? Ca fait un bail en effet ;)
Je ne t’ai point oublié! Je me souviens bien de nos tchats sur ICQ.

Par contre je ne vois pas du tout de quel site tu parles. Après Achtung, on a lancé U2Neophobia en 2004, qui est devenu Sucking en 2009. Je ne me souviens pas avec fait autre chose ;)

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Pedro

Hello Bert ! Oui c’est bien moi !

… au passage, avec ton post sur le Manray… je me suis mis a réecouter et faire ecouter ATYCLB a mes enfants… et je me surprends expliquer les paroles de Kite, larme a l’oeil, a l’ainé de 5 ans…. :-) bon, faut militer pour le droit a etre ridicule selon Sir Hewson….

Donc naviguant emotionellement entre mes 16 ans (ou la perspective d’avoir des gamins paraissait très très loin) et mes 31 ans actuels en me disant que mes gosses sont deja vieux… et qu’entre deux, j’ai l’impression d’avoir juste cligné des yeux à 4 reprises….

« Slow down my beating heart » comme il disait !

Par rapport au site… c’etait bien avant U2 Achtung…. c’etait une sorte de site que tu faisais tourner seul et qui avait comme role une sorte « d’avocat du diable de U2 » face a ce que pourrait dire les detracteurs du groupe….

Par ailleurs, si toi ou d’autres pourraient me rappeler les sites de l’epoque 98-2002 pour la France….

Je me rapelle de U2 Abel qui etait une sorte de reference avant Achtung…. et aussi un site qui etait géré par un gars qui semblait un peu punk et outrancier dans ses commentaires… et background de son site etait noir… c tres nebuleux comme souvenir

Car avec le site « webarchive » on peut retrouver a quoi ressemblaient les sites meme si le graphisme est mis a jour…. je pense que vous connaissez

Je me suis fait U2neophobia du 24 decembre 2004…. un regal !

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Fussy

Et à Larry d’ajouter qu’il ne jouera plus au man ray

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guffanti

Nickel @fussy!! 2 choses qui font plaisir : le groupe content d’être la et malgré le son pourri on a plutôt l’impression qu’ils sont amusent . Et surtout voir Bono qui tombe la veste, sans lunette et cheveux long.

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ramses

Perso, en fan du U2 des 1990’s, j’ai très vite détesté (et je déteste toujours) ATYCLB: trop mou, trop FM et pas assez berlinois. Bref.
Puis j’ai vu le groupe à Bercy qui défendait son album. Le plus beau concert de ma vie assurément. Alors le Man Ray, avec la surprise et tout… je n’ose pas imaginer !
Merci Bert pour le récit d’une soirée qui a du être mémorable !

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yeah

Je m’aligne. Mais en y pensant sous la douche je me retrouve avec Wild Honey dans la tête. Merci les gars.

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ramses

Wild Honey, là t’es dur !
Quelle horreur :)

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UNFORGETTABLEU2

ALL THAT n’est pas un grand album mais vieillit plutot bien
un titre comme WHEN I LOOK AT THE WORLD reste tres agreable à ecouter melodique et lyrique sans les boursouflures d’ATOMIC BOMB
THE GROUND BENEATH HER FEET serait une bonne surprise sur la b stage à la place de sweetest thing

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Cyril

A l’époque je faisais partie du fan-club ABEL et c’est grâce à Magalie, que je ne pourrais assez remercier, que j’ai pu assister à ce concert. L’ambiance durant l’écoute de ATYCLB était sympa, on reprenait les paroles du nouvel l’album en bons fans de base/pirates. Mais tu savais en regardant les people s’agglutiner que ça n’en resterait pas là.
Quand j’ai vu les quatre débarquer dans la salle alors que Grace touchait à sa fin, putain le frisson ! Ensuite, tellement de souvenirs aussi fugaces que forts. D’abord en voyant Bono de si près, j’ai pensé qu’il s’était fait refaire les dents. La montre dont bert parle m’a aussi sauté aux yeux, ce n’est pas un truc qu’il porte en général sur scène. Mais ça ce sont des détails…

La musique était dingue et le son bien dégueulasse, mais quel pied. La fin d’Elevation et de New York me collent encore la chaire de poule.
Je suis sortie de là sur un nuage. Quelque part, je n’en suis pas redescendu.

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Foxyflying

Ro lo lo… J’étais abonné à U2ABEL à l’époque, et grâce à eux, on avait pu commander la VHS de ce concert (c’était bien avant l’essor du web d’aujourd’hui). Je pense que la cassette est aujourd’hui devenue illisible tellement je l’ai regardé ce concert. Un des meilleurs moments du groupe, tous concerts confondus !!!

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guffanti

A l’epoque un patron de bar a Metz (salut Fred ) m’avait raconté comment une semaine avant il avait eu une invitation pour cette soirée et m’avait juré que Bono avait chanté du Jacques Brel. Que ça avait été magique. Par la suite j’en avait toujours entendu parler mais jamais vu les images. Jusqu’à aujourd’hui. Merci Bert.

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Foxyflying

Quel bar ( je suis à 45 KM de Metz) ?

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guffanti

Je te le conseille ça a changé de nom c’est plus lui qui le tient. Mais le lieu et toujours trés sympa et la biére et toujours bonne. c’est « Les Berthom »

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Foxyflying

Connais pô… Comment s’appelait-il à l’époque (des fois que je l’eu fréquenté sans savoir que j’avais affaire à un patron de bar fan de U2…!!!) ?

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guffanti

Ça s’appeller le Pierre qui mousse si tu connaît un peu Metz il se trouve rue du palais.

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bouba

Merci pour ce récit passionné.
Je me souviens de l’interview de bono le lendemain à la radio complètement aphone….dans le même esprit le Irving plaza de la même promo est énorme.

Allez avant leur retraite un olympia ??

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Lefab

Merci pour cette revue pleine de nostalgie et de ferveur. Epoque ou l’on avait pas encore toutes les infos en temps réel. U2 en avait sacrément sous le pied pendant cette tournée.
C’est fou comme le simple concert du Roxy me fait encore espérer.
Putain Naomie… toute ma jeunesse!

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