U2 en Amérique : du boudin, un record et des saucisses

, par Bert & Cyril 8 commentaires

Quelques jours après la fin du premier leg de l’iNNOCENCE + eXPERIENCE Tour, Sucking Rock And Roll vous propose un bilan de cette première partie de tournée, qui a mené U2 de Vancouver à New York. 36 concerts rassurants, énervants, enthousiasmants, décevants et vibrants. Du U2 tout craché.

Des débuts poussifs, une fin en eau de boudin

Pour la première fois de son histoire, U2 décide d’ouvrir ses concerts par le premier single extrait de son dernier album. Si The Miracle (of Joey Ramone) n’a certes jamais bénéficié de la moindre promotion, ce choix allait s’avérer révélateur d’un cruel manque d’ambition. Comme si en choisissant de se reposer dès les premières notes sur son tube potentiel (et dans les faits, vraiment juste potentiel), le groupe avait d’ores et déjà renoncé à oser. Un public, une ambiance, ça se gagne ! Voir Bono monter sur scène en applaudissant le public, cela ferait presque triste à voir. Souvenez-vous de ses arrivées en 2009/10, sur Vertigo en 2005, Elevation quatre ans auparavant, Mofo en 97 et bien entendu le force de son entrée en scène sur Zoo Station qui plantait le décors. Il y avait du style et de l’énergie à revendre, où est-elle passée ? Pour ce I+E Tour, U2 joue la facilité, soit.

Bono entre sur scène à New York.
Bono entre sur scène à New York.
Installés dans le Rogers Arena de Vancouver, nous avions pourtant espéré de l’audace. A l’écoute des morceaux diffusés avant l’arrivée du groupe, tous situés entre la fin des 70’s et le début des 80’s, un concept semblait émerger. Il y avait même du Plastic Bertrand! Las, dès le deuxième soir, il fallait se rendre à l’évidence, il n’y aurait pas de soir 1 et de soir 2. Et pire, même cette sorte de bande-annonce allait de soir en soir perdre de son âme qui rappelait la jeunesse du groupe. Il y avait pourtant de l’idée à remixer Beat On The Brat en y incluant des riffs de Discothèque et de Even Better, mais non, décidément non, ce groupe ne savait plus assumer un choix artistique. En choisissant d’arriver sur People Have The Power, U2 fait certes efficace, mais se noie une nouvelle fois dans un océan de démagogie un peu datée. N’est pas Patti Smith qui veut!

U2 se cherche, de soir en soir. Le groupe en a pourtant sous le pied, comme le montre sa démonstration de force au Roxy. Mais sur la durée, l’homogénéité n’est pas au rendez-vous. Les deux parties du concert sont déséquilibrées et l’effervescence se dilue à mesure que le concert avance. Au point que U2 tente de revoir l’ordre de ses morceaux. Surtout pas ceux qui composent la setlist, malheureux, ces tubes sont tellement formidables. Il faudra attendre Montréal, un mois après l’ouverture, pour que la mayonnaise prenne enfin. Bono se réveille et le public lui répond. Il était temps avant le mois juillet et l’échéance new-yorkaise cochée de longue date sur le calepin des fans.

L’impression au soir de la huitième et dernière date dans la Big Apple sera toutefois mitigée. Oui U2 a assuré le spectacle, oui U2 a été bon sur scène, oui U2 a fait crier la foule, mais non, diablement non, U2 n’a pas été capable de proposer autre chose. De prendre des risques. Il n’avait eu besoin que de quatre dates à Chicago en 2001 pour mettre le bazar dans sa setlist et s’amuser un peu. Mais l’heure n’est plus à la déconnade et c’est peut-être ce qu’il faudra également retenir de ce premier leg. Un manque de folie, de plaisir, peut-être même un manque d’humanité. Le retour sur l’Irlande tombe à ce sujet comme un cheveux sur la soupe. Comme il est étrange d’entendre U2 demander de la justice pour les victimes de la guerre civile qui traumatisa son pays, alors que le monde est actuellement frappé de violences autrement plus monstrueuses. S’il n’est pas question de hiérarchiser les douleurs, l’anachronisme saute aux yeux et avec lui, le sentiment que U2 n’est plus dans le bon timing.

U2 prolifique comme jamais

La tournée américaine qui vient de s’achever possède une statistique des plus flatteuses : jamais U2 n’avait joué un si grand nombre de titres différents sur scène. Pour être précis, le groupe a interprété depuis le 14 mai la bagatelle de 50 morceaux différents en 37 concerts (en incluant le mini-concert au Roxy). Une telle performance n’était jamais arrivée dans sa longue carrière. A titre de comparaison, les Irlandais, alors au sommet de leur art et de leur créativité, n’avaient proposé que 26 titres différents durant les 32 concerts d’ouverture du Zoo TV Tour…

Vu comme ça, la cuvée 2015 est donc exceptionnelle. D’ailleurs la transposition en live des titres de Songs of Innocence est une franche réussite. Faute de réelle promo à l’automne dernier, c’est ce printemps que les titres ont enfin pris toute leur dimension. La première partie du concert, animée et orchestrée autour des nouveautés est plutôt brillante. Le trio Iris, Song for Someone et Cedarwood Road est somptueux et représente sans doute le highlight de la tournée. Même le mal-aimé Raised By Wolves s’en sort plus que bien, tout comme Invisible qui – bien qu’antérieur à l’album – dispose d’un rôle central dans le spectacle.

Outre ces inévitables nouveautés, le groupe semble avoir pris un certain plaisir à nous sortir des titres beaucoup plus inattendus. Rien ne les obligeait à nous offrir deux faces B du nouvel album comme Crystal Ballroom et Lucifer’s Hand. De même The Electric Co. et Gloria, boudées depuis 10 ans, ont donné hargne et caractère aux débuts de concerts et comptent parmi les meilleures performances de cette tournée américaine. Il y a aussi eu tous ces titres improbables comme Two Hearts Beat As One, Satellite of Love, ou When Love Comes To Town qui auraient pu gentiment rester au placard sans que personne ne s’en offusque.

En 2015, Adam a toujours la classe. Qui en doutait ?
En 2015, Adam a toujours la classe. Qui en doutait ?

Mais soyons francs, ces titres moins attendus qualifiés de «surprises», encensés sur les sites de fans et célébrés comme des chefs d’oeuvre, ne sont que de vulgaires cache-sexe. Sur une setlist de 24 à 25 titres en moyenne, U2 a choisi dès le départ d’en figer une vingtaine. Les changements ne portent que sur 3-4 titres par soir, et sur ce point le groupe ne fait pas du tout mieux que sur les tournées précédentes. Annoncer des paires de concerts et un concept qui allait changer d’un soir sur l’autre, pour aboutir finalement à ce résultat est une imposture totale. Évidemment jouer 50 titres en deux mois est une performance mais le fan lambda qui n’a fait que deux concerts n’en aura jamais vu la couleur, se contentant des sempiternels Pride, With or Without You, Sunday, Streets et autres classiques. Il aura du attendre son créneau de dix minutes sur la e-stage, le seul moment où U2 se juge suffisamment à l’aise pour sortir des sentiers battus, sans lightshow, sans spectacle, sans imagination. Bref ce fameux moment fourre-tout où le groupe nous emmerdait avec ses titres acoustiques dans le passé. Rien d’étonnant finalement qu’on y retrouve des morceaux aussi inintéressants qu’October, Party Girl, ou Sweetest Thing, trois titres à l’image de la créativité en berne des Irlandais.

Il faut donc dépasser cette statistique de 50 titres qui ne vaut guère mieux qu’une promesse marketing. Dans sa tournée américaine, U2 aura surtout joué du tube, et de préférence du tube des années 80, seule période qui semble avoir grâce à leurs yeux. No Line On The Horizon a officiellement rejoint Pop dans la tombe. Zooropa n’existe plus que lorsqu’un journaliste l’évoque lors d’une interview. Il y avait pourtant de la place pour représenter ces albums : Mysterious Ways pourrait être alternée avec Discothèque, Moment of Surrender a sa place en fin de concert au lieu de l’insipide Haven’t Found, Stay ou Please pourraient profiter du piano sur la e-stage. Même No Line On The Horizon dans une version semi-acoustique comme en 2010 apporterait une fraicheur bienvenue à la place d’un Desire. Bref si les possibilités ne manquent pas, dommage que l’envie – elle – n’existe pas.

La foire à la saucisse sur scène

U2 a souvent de bonnes idées. Et tout aussi souvent celles-ci ne dépassent jamais le stade de la pensée fulgurante. Le fan doit y être habitué. Une d’entre elles a toutefois tendance à se concrétiser de temps en temps lors de chacune des tournées du groupe. Bono, au hasard d’un carton tendu par un spectateur, fait monter celui-ci sur scène et le laisse jouer un morceau avec ses stars de collègues. Seulement voilà, actuellement en rade d’idées neuves, U2 s’est mis à recycler à tout va, quitte à frôler l’indigestion. Cela part d’une bonne idée, encore une : faire filmer une chanson du concert par un fan et le diffuser à travers le monde grâce à l’application Meerkat. Visiblement content de son effet, le groupe a dû se dire que plus on était de fous, plus on riait. Résultat, chaque soir ou presque un spectateur grimpe sur scène pour chanter, danser, jouer de la guitare ou même imiter Bono. Ce qui était amusant, est tout simplement devenu ridicule. Le sentiment que c’est là, la seule manière pour le groupe de faire parler de lui, est assez désagréable. U2, c’est un produit premium, du contenu de haute qualité, pas un tour de chant de Jean-Luc Lahaie au Prisunic de la Porte de Clichy.

Du grand n'importe quoi sur scène à Montréal.
Du grand n’importe quoi sur scène à Montréal.
Alors voilà, il y en a marre que la scène soit systématiquement squattée par la moindre baltringue capable de jouer deux accords avec une guitare sèche. Guitare que maintenant les mecs embarquent en redescendant dans la foule… Et puis cette manière de trouver ça si génial, que c’est agaçant ! Nous soupçonnons d’ailleurs le groupe de trouver ça aussi pathétique que nous, mais que désireux de jouer à fond la carte de l’amour du public, ils se forcent à sourire et à dire aux plus gros des boudins qu’elles sont superbes. Dégueulasse.

Ce que Sucking valide en revanche, ce sont les invités musicaux. A part Paul Simon venu sucrer les fraises l’espace de 18 secondes montre en main et se faire faire une révérence par Deep Throat Bono, tous ces guests ont réellement apporté un plus à la soirée. Même Lady Gaga, méprisée par les fans de U2 qui oublient un peu vite qu’ils admirent un groupe has-been, a été impressionnante à leurs côtés, donnant un surplus d’émotions à Ordinary Love. La montée sur scène de The Roots aura également fait partie des beaux moments de cette première série de concerts. Quant à Bruce Sprinsgteen, nous dirons poliment que ce n’était pas son meilleur soir.

De tout cela, des beaux moments comme des moins bons, les fans auraient certainement aimé avoir quelques souvenirs. Eh bien qu’ils se démerdent ! Cette année, U2.com joue la carte du ticket de rationnement. Pas UN bonus pour ses membres. Même l’excellent journal de bord de Willie Williams a disparu des écrans. A l’ère de l’hyperconnexion et des réseaux sociaux, une telle pauvreté est stupéfiante! Surtout que par ailleurs, le groupe vante ses moyens techniques et le fait que TOUS les concerts sont enregistrés par 28 caméras. Pour en faire quoi ? Des guirlandes pour Noël ? Il y a pourtant eu un bel effort avec le compte Instagram (largement squatté par Adam Clayton, le seul visiblement à savoir que nous sommes au XXIe siècle), qui donne à voir dans les coulisses de la tournée. Mais c’est peu, beaucoup trop peu. Et un deal avec leurs copains d’Apple pour le lancement d’Apple Music, ce n’était pas possible ? Onze ans après avoir annoncé qu’ils mettraient leurs concerts en téléchargement, l’occasion aurait pu être belle… Le décalage avec les fans qui filment les concerts pour les diffuser sur Periscope est à ce titre assez navrant.

Discussions

8 commentaires ont été publiés pour cet article.

vincent@75

Je crois qu’il est beaucoup plus prudent de ne rien attendre du groupe, c’est la meilleure manière de ne pas être (trop) déçu !

La musique étant dorenavant pour eux une activité accessoire (leur compte Instagram nous fait plus partager leurs hobbies de milliardaires que la réalité de leur actualité musicale … En tous cas depuis NYC, aucun signe d’activité sur ce front), les ajustements, s’il y en a, seront marginaux et progressifs.

De ce point de vue, les concerts parisiens vaudront peut être le détour : ils auront peut être l’envie de ressortir un titre longtemps négligé de leur discographie, et de montrer que la flamme est toujours là. Mais rien n’est moins sûr. Avec U2, tout est possible, mais surtout à l’économie au cours de ces dernières années. Quand on écoute le concert du Roxy et ce qu’ils nous proposent tous les soirs, quel sentiment de gâchis !

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Fussy

Ca me rappelle une vieille copine…
Sans blague, je me répète mais vu le décors, un ‘sleep like baby’ serait le bienvenue et EBW au piano j en ai ras le … Ils auraient pu casser la barraque et être à l’ hauteur de leur légende en full band . franchement: je comprends pas. Ou moins la jouer comme à Berlin aux bamby award et je sais plus où.
Pour ma part : présent pour les 2 1er bercy avec la pote M .
Et tjs à la recherche de places pour les 2 suivants. Surtout pour le 15. Et d’un batteur qui sache jouer comme Mullen.. Mais la….
Sur ce : Vive Sucking et sa team!
Ps: comme Bouba pour Turin, je propose binouses á Paris .
A ciao

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guffanti

A 9 jours du début de la tournée rien ne bouge ça fait peur ou alors il répéte de nouvelles choses en secret mais j’en doute. Vivement Amsterdam que je voit ce que ça donne vraiment.

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Cyril

En fait on ne sait pas si «rien ne bouge» car le groupe n’est visiblement pas encore en répétitions. Mais comme le dit bert, il n’y aucune raison pour que l’essentiel ne reste pas tel quel.

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unforgettableu2

la premiere partie ne changera surement pas par contre la deuxieme sera peut etre moins monolithique turin est un bon test car ils savent que les italiens font
partis de leurs fans les plus actifs et connaisseurs
au minimum le retour de ultra violet me semble possible

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bert

Si on raisonne de leur point de vue, je ne vois pas pourquoi ils changeraient quoique ce soit en Europe. En plus tout le monde doit leur dire que la tournée est géniale… Je crois que tout va pour le mieux, continuons ;)

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guffanti

2 ou 3 changement dans la setlist de base ce serait pas trop leur demander

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unforgettableu2

ils ont confondu simplicité avec facilité et quantité avec qualité
c’est vrai que leur entrée sur scene est tres plate et que le nombre record de titres joués ne veut rien dire comme le nombre de concerts qu’ils devraient baisser pour préserver la voix de bono
la question tourne toujours autour de leur envie réelle de jouer de la musique
le dernier moment ou u2 s’est plongé dans la musique avec une totale liberté remonte a ces quelques jours d’enregistrement avec brian eno et daniel lanois au maroc en 2008
j’espere quand meme qu’ils nous reservent quelques vraies surprises pour ce leg en europe

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